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Une autre histoire de l’horlogerie
 
Le 11-03-2016
de Business Montres & Joaillerie

Une cinquième montre pour démontrer (une fois de plus) qu’il faut rendre à Hubert Sarton ce qui lui revient dans la mise au point des premières montres automatiques à rotor…

Récemment offerte au Musée international d’horlogerie (La Chaux-de-Fonds), mais achetée lors de la dispersion de la collection de Jean-Claude Sabrier, une montre de poche automatique confirme intégralement qu’il ne pouvait s’agir d’une montre attribuable à « Abraham Louis Perrelet » – ce dont Jean-Claude Sabrier avait parfaitement conscience, mais qu’il s’obstinait à nier, dans un entêtement d’« expert » vieillissant démenti par les faits. C’est à l’historien et horloger Joseph Flores que l'acheteur de la montre a confié le soin d’étudier cette montre « historique ». Les conclusions de Joseph Flores n’étonneront pas les lecteurs de « Business Montres », éclairés depuis longtemps sur ce qui revient à Hubert Sarton dans l’« invention » vers 1780 d’un mouvement à rotor capable de remonter automatiquement une montre de poche…

Drôle d’affaire que celle des origines de la montre automatique à rotor que, depuis plus de vingt-deux années, je présente sous différentes formes, sous de multiples supports, mais avec la même conviction, et qui ne m’a pas attiré que des amis ! J’y reviens encore, mais ce pourrait être la dernière fois. Sauf...

Il faut d’abord dire que les circonstances font souvent bien les choses, que souvent on ne prête qu’aux riches, et, dans ce domaine, je pense en faire partie. Voici les faits, avec un bref récapitulatif.

À ce jour, cinq mouvements automatiques à fusée et à verge sont répertoriés, tous réalisés vers 1780. Ils sont équipés du dispositif automatique à rotor bien connu, puisque c’est ce dispositif qui équipe 99,99 % de la production horlogère actuelle. Les voici (Fig. 1, ci-dessus) avec de gauche à droite : 1 - Signé Mazzi à Locarno sur le cadran, actuellement dans la collection du MIH ; 2 - Mouvement n° 13, non signé, Musée de Schoonhoven ; 3 - Mouvement n° 22, non signé, Patek Philippe Museum ; 4 - Signé Berthoud à Paris sur la masse, Musée de Schoonhoven ; 5 - Signé Igidius Link in Augsbourg, Musée Beyer à Zürich..

Sur ces cinq mouvements, dont la ressemblance ne peut échapper à personne, j’ai eu la chance – disons le privilège – d’en examiner quatre, dont deux totalement (le n° 3 et le n° 4), ce qui m’a permis de les présenter en détails dans mon ouvrage : Perpétuelles à roue de rencontre – Montres automatiques, une page d’histoire (disponible en ligne)..

Deux autres, le n° 2 et le n° 5, ont été examinés plus sommairement. Il ne restait que le n° 1 que je connaissais, mais que je n’avais jamais vraiment examiné. C’est là que la chance m’a souri une nouvelle fois ! Il faut encore dire – avant de développer ce que j’ai trouvé lors de cette analyse complète – que la description de ce genre de dispositifs se trouve dans un rapport conservé à l’Académie royale des sciences de Paris, daté du 25 décembre 1778. Rapport qui concerne mouvement déposé par Hubert Sarton, horloger liégeois (1748-1828), le 16 décembre 1778. De plus, un dessin du même Sarton s’y trouve également : voici deux de ces documents (Fig. 2 et 4) et l’extrait du 3e (Fig. 3).

De ce qui précède, on peut plus que raisonnablement déduire que ces mouvements sont construits sur les bases de ce rapport, conforté par le dessin. Les deux mouvements que j’ai examinés complètement l’ont déjà démontré. Il reste à voir si celui de la montre rachetée par le MIH le confirmera.

Cette montre, faisait partie de la collection de montres automatiques – que l’on peut qualifier d’exceptionnelle – de Jean-Claude Sabrier, malheureusement décédé début décembre 2014, dans sa 78e année. De cette collection, il avait d’ailleurs retiré la matière d’un ouvrage, paru en 2001 aux éditions Cercle d’Art : La montre à remontage automatique XVIIIe XXIe siècle (Fig.5). La pièce en question est présentée à la page 42, (Fig. 6), dans le chapitre titré « Abraham Louis Perrelet », ce qui semblerait indiqué qu’il lui avait attribué ce mouvement, ainsi que les autres de type identique, tous ceux de la figure 1 ! Après le décès de Jean-Claude Sabrier, la montre fut mise en vente et achetée par un nouveau propriétaire qui – je vous le donne en mille – me contacta pour voir si j’acceptais d’examiner et de photographier cette pièce. Vous devinez qu’elle fut ma réponse... Voici donc quelques vues et mes remarques.

Vous voyez cette montre en grandeur réelle (Fig. 7), telle qu’elle se présente actuellement, avec un boîtier en argent d’un diamètre de 55,7 mm et poinçonnée « LC ». Son cadran en émail porte les inscription « Non Plus Ultra » et en bas « Mazzi à Locarno ». Chiffres romains et aiguilles en laiton, de style Louis XVI, mais néanmoins de finition douteuse pour cette époque. Le diamètre de cette montre laisse penser qu’elle date de la fin du XVIIIe siècle, voire du début du XIXe. Par comparaison, et pour éclairer la suite de cette article, voici une pièce typiquement Louis XVI (Fig. 8) mais d’un diamètre de moins de 50 mm, soit 6 à 7 mm de moins.

Malgré cette différence de diamètre de la boîte, la surprise est de trouver à l’intérieur un mouvement identique à rotor. Le voici – ici le n° 1 de la figure 9 – avec les quatre autres actuellement répertoriés au monde. Présentés et orientés identiquement, mais sans leur masse, les similitudes sont frappantes…

Après cette très courte présentation, destinée à montrer la parfaite ressemblance entre ces cinq mouvements, il faut encore, avant de l’analyser, voir s’il ressemble à la description du rapport et, surtout, au dessin que Hubert Sarton déposa en 1778 à l’Académie royale des sciences de Paris. Ce dessin a été présenté tel qu’il se trouve à l’Académie (Fig. 4), mais les inscriptions descriptives qu’il porte, rendent un peu flou l’aspect de sa réalisation. C’est pourquoi j’ai enregistré et ouvert ce dessin dans Photoshop, je l’ai nettoyé de ses textes, puis je l’ai colorié et placé côte à côte avec le mouvement qui nous concerne, que j’ai eu soin de photographier avec une position de la masse identique au dessin.

Tout ceci vous est présenté figure 10, sur laquelle j’ai encore porté des numéros ayant chacun leur légende. C’est on ne peut faire plus clair... Ayant constaté superficiellement la concordance de ces cinq mouvements, ainsi que ce qui ne peut être que leur origine (à savoir les documents de l’Académie royale des sciences de Paris, qui nous indique Hubert Sarton comme dépositaire, donc vraisemblablement comme concepteur), il faut voir maintenant pourquoi le même mouvement est placé dans une boîte nettement plus grande, qui ne semble pas correspondre à l’époque de réalisation de ce mouvement. En ouvrant la lunette (Fig. 11), le cadran couvre bien le mouvement et semble parfaitement adapté à l’ensemble : à première vue, l’emboîtage est parfait, avec un cadran bien adapté.

Pour progresser, il faut donc enlever ce cadran et – surprise ! – on constate que, sur le mouvement de base, une bague d’emboîtage (rehaut), a été ajoutée, à l’évidence pour agrandir le mouvement (Fig. 12), le portant ainsi à 44,4 mm, contre à peine plus de 38 mm à l’origine, et conséquemment pour pouvoir loger ce mouvement dans un boîtier plus grand. Afin de voir si des inscriptions ne se trouvaient pas sous cette bague, elle a été démontée, n’étant maintenue que par quatre goupilles en laiton rivées. Les figures 13, 14, 15, montrent l’ensemble séparé en grandeur réelle, soit platine seule de 38,5 mm, bague seule de 44,4 mm, charnière seule, et en figure 16, la platine, la bague, la charnière assemblées. Cette opération de démontage de la bague, si elle n’a rien donnée, nous indique, en plus d’avoir à la base un mouvement identique aux autres répertoriés, qu’il s’agit d’une transformation, à l’évidence dans le but d’un emboîtage plus grand, plus à la mode fin XVIIIe siècle-début XIXe siècle.

Pourtant, sur cette question de la date de transformation, un élément apporte une réponse qui semble assez précise, même s’il est toujours impossible d’affirmer ce genre de chose. Il s’agit d’une inscription portée sur le ressort de barillet : s’il est quasiment impossible de lire le nom, la date (1809) est parfaitement lisible. Ce pourrait donc être la date de cette modification, qui serait venue au moins vingt-cinq à trente ans après la construction du mouvement. On peut de plus raisonnablement penser que Mazzi de Locarno, dont le nom se trouve sur le cadran, n’a même été que le revendeur, le commanditaire, et que c’est l’horloger dont le nom se trouve sur le ressort qui aurait pratiqué la transformation.

Ces explications sur l’emboîtage nous indiquent qu’il s’agit d’une montre dont le mouvement, semblable aux quatre autres, date des premières années de 1780. Le document de l’Académie est daté de 1778 et le nom de Sarton lui est lié… Poursuivons l’analyse. Pour confirmer ou infirmer les concordances, cette poursuite se fait par présentation des vues des rouages de trois de ces mouvements sur les cinq pièces connues, n’ayant pas eu l’opportunité de photographier les deux autres. La vue de la disposition de ces trains de rouages confirme également la similitude entre ces différents mouvements, qui sont, à l’évidence, conçus sur les mêmes bases.

Lorsqu’on analyse plusieurs mouvements issus, sans aucun doute, du même calibre, mais pas forcément terminés par le même horloger, les similitudes les plus frappantes apparaissent rapidement, la présentation des cinq mouvements (Fig. 9) en est une preuve pour le cas présent. D’autres indices, comme la disposition du rouage, demandent plus d’approfondissement et exigent un démontage de la montre. Enfin, certaines différences sont plus difficiles à détecter, car elles se trouvent souvent dans des détails. En voici quelques-unes…

En premier lieu, la longueur des spiraux : on sait que, vers 1780, ils étaient encore relativement courts, tel celui (Fig. 22). Les plus longs ayant probablement été changés. Plus étonnant avec la fusée de cette pièce signée « Mazzi à Locarno », présenté » ici au centre (Fig. 28), qui comporte beaucoup moins de pas (3 ¾) contre (6 ¾) pour les deux autres. Cela réduit fortement la réserve de marche, qui n’est que de 45 heures pour cette Mazzi, contre 81 heures pour les deux autres. La raison pourrait être d’avoir la possibilité de mettre une chaîne plus épaisse, donc plus robuste, mais ce n’est pas le cas pour celle qui se trouve sur ce mouvement. Alors, mystère ! Encore plus étonnant : des différences dans les fréquences horaires, dues à des roues de champs ayant un nombre de dents différents (tableau ci-dessous)…

Cette analyse et ces images sont également disponibles sur le site de Joseph Flores, Horlogerie ancienne. Nous en profitons pour remercier une fois de plus Joseph Flores pour son courage historique (face aux propagateurs d’idées reçues obsolètes) et pour sa persévérance dans la quête de la vérité documentaire à propos des premières montres automatiques...

 



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