|
Comme toujours à cette époque, la planète horlogère s’est donné rendez-vous à Genève pour le Salon international de la haute horlogerie. Visite privée, entre montres glamour et cadrans ultracompliqués.
Moquette épaisse, nourriture raffinée, champagne de circonstance, costumes sur mesure, robes de couturier : avant d’être un rendez-vous de spécialistes chevronnés, le Salon international de la haute horlogerie (SIHH) de Genève, qui rassemble les horlogers du groupe Richemont, Cartier en tête, est d’abord un endroit sélect. Où l’on se rend sur invitation uniquement. Où l’on n’entre pas sur un stand si l’on n’y a pas été convié. Où les vedettes, les montres, se regardent gants blancs à la main pour ne pas risquer de les rayer. Ici, un tourbillon – l’une des plus belles complications horlogères – vendu 35 000 euros est accueilli par des « C’est tout ? ». Ici, depuis plus de vingt-cinq ans, les horlogers présentent chaque année des innovations dont l’extrême complexité des mouvements a demandé des mois de recherche.
Autant dire que bon nombre des montres découvertes ici ne s’adressent qu’à des collectionneurs passionnés ou à des amateurs avertis. En effet, il faut être particulièrement érudit pour apprécier à sa juste valeur le travail des maîtres horlogers. ExoTourbillon, phase de lune astronomique, indicateur de couple, seconde morte… autant de termes techniques qui ont de quoi étourdir le néophyte même quand il connaît – et c’est déjà rare – la différence entre un chronographe et un chronomètre. La haute horlogerie est à la montre ce que la Formule 1 est à la voiture. Un monde à part, avec son vocabulaire et ses us et ses coutumes. On y utilise les matériaux les plus innovants, on y dépense des sommes folles et on y consacre des milliers d’heures pour acquérir les meilleurs rendements ou pour gagner quelques centièmes de seconde. La magie et la féerie en plus. Une seule certitude, cette recherche quasi obsessionnelle de la superprécision, de l’ultime finesse, du squelettage absolu ou de l’augmentation de a réserve de marche a aussi pour but d’améliorer la montre de Monsieur Tout-le-Monde. Nous voilà avertis, entrons en connaissance de cause dans l’univers de l’infiniment petit et de l’extraordinairement beau.
Première surprise, cette année, dans les allées du SIHH, la présence d’un « Carré des Horlogers ». Autrement dit, un espace dédié à des créateurs indépendants dont la production, souvent moins policée, a séduit les observateurs. Une bonne initiative destinée à rajeunir le label SIHH, même si dans les allées, certains observateurs soulignaient avec humour qu’il y avait aussi des « horlogers » à l’extérieur du « Carré ». L’arrivée de ces nouveaux acteurs au sein du SIHH ne fait que renforcer l’ADN même du salon qui, comme son nom l’indique, est la vitrine mondiale de la haute horlogerie.
Si le lundi matin, à l’ouverture, personne ne se risquait à anticiper les commandes des détaillants refroidis par une année 2015 difficile (attentats parisiens, krach boursier en Chine, crise économique en Russie, chute du prix du pétrole, etc.), dès le mardi, des sourires s’esquissaient à nouveau sur les visages. Le baromètre commercial étant passé de « tempête » à « variable », on pouvait espérer de belles éclaircies en fin de semaine. Ce fut le cas, et de l’avis de tous, sans être une année exceptionnelle, 2016 est un bon millésime compte tenu de l’actualité qui a fortement impacté l’industrie horlogère helvétique en 2015, à commencer par le déblocage du cours du franc suisse.
Pour hommes élégants et raffinés
Parmi les grands acteurs du salon de Genève qui occupent le plus grand nombre de vitrines, Cartier a présenté une vraie et belle nouveauté : la Drive. Un modèle de forme « coussin » qui reprend les codes identitaires de la marque et qui s’inscrit à la perfection dans la grande tradition de la Maison pour les boîtiers de forme originale. Disponible en mai dans sa version la plus épurée avec petite seconde à 6 h et date à 3 h, cette montre animée par un calibre de manufacture constituera une des pièces maîtresses de cette nouvelle collection dédiée aux hommes élégants ayant le sens du raffinement.
Comme son nom l’indique, le SIHH est le salon de la haute horlogerie et donc aussi celui des pièces compliquées. A. Lange & Söhne a par exemple dévoilé la Richard Lange Seconde Sautante en platine. Ce garde-temps mécanique à affichage de type régulateur (une aiguille par axe) présente à midi une grande aiguille de seconde dite « morte » qui effectue soixante sauts par minute. Un doux paradoxe horloger qui donne à la trotteuse de l’instrument le comportement d’une montre à quartz. Visible au dos, le calibre est équipé d’un échappement à force constante qui transmet aux rouages l’énergie du barillet avec une puissance égale sur toute la durée de la réserve de marche (42 heures). Ultime détail, le cadran possède un petit indicateur triangulaire qui passe du blanc au rouge dès qu’il ne reste plus que 10 heures d’autonomie.
Autre stand, autre complication. Chez Greubel Forsey, le Double Balancier à Différentiel Constant en or gris offre au regard une architecture particulièrement originale, car la sobriété du cadran coupé (où est indiquée la réserve de marche) contraste avec la complexité des rouages qu’il dévoile. Le beau allant souvent avec le bien, cette configuration améliore nettement les performances chronométriques du calibre.
De son côté, Audemars Piguet passe « le mur du son » avec la Royal Oak Concept Supersonnerie. Prototype remarqué l’an dernier, cette répétition minutes avec tourbillon et fonction chrono est aujourd’hui entièrement finalisée et désormais protégée par trois brevets. Son dispositif de sonnerie avant-gardiste est dix fois plus puissant qu’une répétition minutes traditionnelle. Si ce modèle a évidemment fait grand bruit dans les allées du salon, notons également chez Audemars Piguet le retour en force de l’or jaune au sein de la collection Royal Oak avec de nombreuses références. Un vrai pari sur une matière aussi précieuse que chaleureuse.
La maison italienne Officine Panerai, elle, a séduit par l’atypisme d’une Luminor 1950 Lo Scienziato en titane de 98 grammes ! Une légèreté rendue possible par un squelettage très étudié qui met en valeur un tourbillon, visible à 11 h et tournant à la verticale. Au centre, une aiguille à pointe flèche permet de lire un second fuseau horaire (toujours pratique pour les grands voyageurs) complété par un indicateur jour/nuit qui vous évitera de confondre midi et minuit.
La technologie au service de la poésie
Du côté des innovations technologiques, certaines Maisons tirent leur aiguille du jeu à l’image de Van Cleef & Arpels avec la Midnight Nuit Lumineuse, une création qui ouvre un nouveau champ d’expression poétique à la Maison de la place Vendôme. Et pour cause, l’objet a quelque chose de réellement féerique puisque les diamants de son cadran s’illuminent pendant environ trois secondes après action sur un poussoir. Elle possède en fait un système qui fait vibrer des lames en céramique pour créer l’énergie nécessaire à l’allumage de micro-LED placées sous les pierres précieuses ! Magique.
Chez Parmigiani Fleurier cette année, on atteint les limites du compréhensible pour le néophyte. Mais pour les quelques initiés qui liront ces lignes, on ne peut pas passer sous silence le prototype Senfine et son organe réglant révolutionnaire. Libéré de tout frottement, ce dispositif mécanique constitué d’éléments suspendus parvient à battre à une fréquence record de 16 Hz. Résultat : une précision chronométrique remarquable et une augmentation spectaculaire de la réserve de marche qui atteint 45 jours minimum !
Changement de registre chez IWC dont le stand accueillait les visiteurs avec un Sptifire grandeur nature suspendu à l’entrée pour annoncer le décollage de la collection des Montres d’Aviateur. Amateurs de belles montres, réjouissez-vous car la simplicité est de retour. Boîtes affinées, diamètres réduits et cadrans inspirés des premiers modèles des années 40 : les nouvelles références jouent la carte du vintage et de l’élégance. Qui plus est à un prix très étudié. A l’instar de la Mark XVIII en acier brossé de 40 mm de diamètre sur bracelet en cuir noir de la maison Santoni.
Toujours dans la thématique aéronautique, mais en faisant un grand écart technologique, Richard Mille a créé la surprise avec la RM 50-02 ACJ Tourbillon conçue en collaboration avec Airbus Corporate Jets. Combinant chrono à rattrapante, indicateurs de réserve de marcheet de fonction, cet instrument au design très inspiré est édité à 30 exemplaires en titane-aluminium et céramique. Son prix (qui dépasse le million d’euros !) est à la hauteur des milliers d’heures de recherche qui ont été nécessaires à sa conception. Il est aussi à la portée des moyens financiers de ceux qui s’offrent des avions de ligne pour les transformer en jets privés.
Dans un autre style, plus classique, Montblanc célèbre son 110e anniversaire avec une collection 4810 entièrement redessinée. Equipées de calibres manufacture, les montres arborent un cadran au guillochage en étoile faisant écho à l’emblème de la Maison. Un décor que l’on retrouve sur la 4810 ExoTourbillon Slim en or rouge, pourvue d’un indicateur de fonction inspiré des transmetteurs d’ordre mécaniques présents dans les passerelles des paquebots.
La femme dans le cœur des horlogers
Le glamour n’était pas absent des collections présentées au SIHH, bien au contraire. Animées par des mouvements quartz ou des calibres mécaniques, parfois même de haute horlogerie, les pièces dédiées aux femmes ont également défilé au salon. La nouveauté est d’ailleurs venue principalement des bracelets. En jouant sur les matières, les textures, les couleurs, ils participent fortement à l’identité de la montre et offrent maintes possibilités de personnalisation. C’est le cas de la Petite Promesse (22 mm de diamètre) que Baume & Mercier édite dans une séduisante version montée sur des bracelets double tour en cuir coloré ou en acier avec une architecture très contemporaine. Plus précieuse, la Limelight Gala en or et diamants chez Piaget offre à ses courbes sensuelles un bracelet à mailles milanaises. La structure des minuscules maillons est d’une telle finesse, qu’elle donne à l’ensemble une souplesse incomparable qui vient littéralement épouser le poignet.
Vacheron Constantin n’est pas en reste et la collection Overseas voit arriver cinq modèles inédits (douze références au total), tous équipés de calibres réalisés par la manufacture, visibles au dos et certifiés Poinçon de Genève. Si le boîtier présente quelques discrètes évolutions, il possède surtout un nouveau système pour changer de bracelet avec une facilité déconcertante. Et du coup, l’Overseas petit modèle automatique en acier – sertie de diamants sur la lunette – est livrée avec un set de trois bracelets (acier, alligator et caoutchouc) pour coordonner la montre à sa tenue.
Anniversaire aussi chez Jaeger-LeCoultre qui fête les 85 ans de son emblématique Reverso en lui offrant un lifting quasi invisible. On ne touche pas à une icône ! En revanche, la collection a été réorganisée pour l’occasion en trois lignes distinctes : Classic, Tribute et One. La manufacture proposera aussi bientôt dans ses boutiques, un espace baptisé Atelier Reverso entièrement voué à la personnalisation. Illustration par l’exemple avec l’édition spéciale créée en partenariat avec Christian Louboutin, dotée d’un bracelet à doublure intérieure rouge, évidemment. Le monde de l’escarpin de luxe a également inspiré Roger Dubuis. La manufacture, dont chaque montre est estampillée Poinçon de Genève, dédie l’année 2016 à sa ligne Velvet, exclusivement féminine. Parmi les nouvelles variantes, la Velvet by Massaro a attiré tous les regards avec son bracelet haute couture doré en cuir plissé conçu par le célèbre bottier parisien.
Impossible de finir cette revue de détails du SIHH 2016 sans parler d’une pièce issue du « Carré des Horlogers ». Notre coup de cœur va à la H2 Tradition de la jeune et talentueuse maison HYT. Cette pièce en or gris et titane utilise la mécanique des fluides pour afficher les heures, étalonnées sur une graduation en chiffres romains : le tube se remplissant d’un liquide bleu au fur et à mesure du temps qui passe grâce à un ingénieux système de pistons.
Une innovation qui montre à quel point l’univers de l’horlogerie ne connaît pas de limite créative. Autant dire que les salons horlogers ont encore de beaux jours devant eux…
Frank Declerck
lesechos.fr |